Pacifisme.




Appel au calme, pacifisme tout ça.

À 8 ans, j'avais une coupe "à la Mireille Mathieu" et ce, depuis que j'avais les poils assez longs sur le cailloux.
Encore un choix judicieux de ma mère, qui m'avait imposé cette coiffure.
Comme c'était son métier et du coup ma praticienne capillaire, je n'avais pas trop le choix.

Ça fait sourire non ?

Sauf que moi ça m'a plongé au cœur d'un cauchemars qui a duré longtemps.

Cette coupe, des traits assez féminins, une constitution fragile, deux ou trois sales gamins, et petit à petit les moqueries sont devenues de façon insidieuse mon quotidien.
J'étais devenu le dernier choix lorsqu'on forme les équipes, celui que personne ne veut dans son équipe et qu'on prend en râlant parce qu'il va encore "nous faire perdre". Il me fallait composer avec cette injustice. Les seules balles que j'avais le droit de toucher, étaient celles qu'il fallait aller récupérer, sur la planète mars, après une sortie de terrain. Et en plus, il fallait que je me grouille de la ramener, parce qu'on m'attendait pour pouvoir faire une remise en jeu.
Ça m'a vite dégoûté du foot et du sport en général d'ailleurs.

Je me souviens de cette enseignante en primaire que j'ai surpris à parler de moi à la directrice dans ces termes : "Je suis sûre qu'il sera probablement homosexuel, les autres enfants le sentent bien ça".
J'étais petit, et ce n'est que le soir, dans un dico, que j'ai pu découvrir à quoi le destin me préparait.

Les classes se sont enchaînées, ma vie de PD aussi. Je prenais du galon: j'avais des tortionnaires attitrés. Le premier d'entre-eux étant ma mère qui refusait de concevoir une coupe moins humiliante pour moi. Laisse les dire, ce sont des bébêtes, ne les écoutent pas, c'est moi la coiffeuse, je sais ce qui te va. T'es mignon comme tout comme ça.

C'était ma mère, c'était mon monde, c'était ma bible.
J'écoutais, je croyais. Même si j'avais pas beaucoup de copains.
Même pas un seul en fait.

La fiiiille euh... la fiiiille euh...

Pourtant j'appliquais ses trucs.

Tous les mois d'octobre, dès que j'ai eu assez de dextérité dans les doigts, je devais écrire des lettres d'invitations à mon anniversaire. Puis attendre que le téléphone ne sonne pas, pour des confirmations qui ne le seront jamais, et enfin m'enfiler un gâteau prévu pour douze, tout seul.
Ça m'a dégoûté des anniversaires, je crois.

En CE2, nous avions des correspondants à l'étranger, des anglais.
Sur la base de photos, il fallait nous écrire nos quotidiens, nous envoyer un petit cadeau.
J'ai reçu une boite pour fabriquer des colliers de perles. Un paquet que j'ai eu la chance de déballer devant toute la classe. Ça m'a dégoûté des Anglais je crois, et des langues étrangères.
Et ça ma collé toute la primaire.
Ça et les chemises à fleurs.

Puis vînt le temps du collège.

Même coupe, les chemises à fleurs avaient heureusement cédées la place aux pulls à col roulés en nylon (orange, jaune, violet). Les affaires repartirent de plus belles pour moi.
Les moqueries cédant la place à la brutalité. On me saluait alors d'une "béquille", d'un "shampoing", ou d'un coup de poing dans le ventre. Les attaques plus ciblées avaient des visages, Frank, Mathieu, Freddy,...

J'amorçais ma troisième année de collège la peur au ventre, coutumier des baffes gratuites des croches-pieds humiliant, des crachats dans le dos, des insultes homosexuelles et parfois même avec la complicité silencieuse d'enseignants. Mes copains ne me défendaient pas. Je n'avais pas de copains. Au moins, je n'étais plus obligé de m'humilier à écrire des lettres d'invitation à mes anniversaires.
J'étais seul, mais ça ne me dérangeait pas, je savais m'occuper, et je n'aimais pas le foot.

Des fois une fille voulait me coiffer les cheveux parce qu'ils étaient beaux, mais moi je ne pouvais pas aimer les filles, c'était écrit dans le dictionnaire.

Je n'avais donc pas d'ami(es), mais j'avais des ennemis.
J'avais droit à des traitements privilégiés à l'intérieur de l'établissement, mais aussi à des séances particulières sur le chemin du retour.

Comme le jeu des cents claques qui consiste à déguster cent claques avant d'avoir le droit de rentrer chez moi sous une pluie de crachats.

Pour ma rentrée de troisième, Landry a fait son entrée dans ma vie.
Le triple de mon poids, le double de ma taille et un potentiel imaginatif dans la torture morale et physique hors norme.

En plus d'un quotidien tourné sur mes capacités de résistance à l'insupportable, Landry avait instauré le "Samedi récréation spéciale". Il s'agissait pour moi de me rendre de mon plein gré, sous peine d'apocalypse, à un petit rendez-vous hebdomadaire dans un des recoins du collège, où tous les samedi à 10H, j'avais le droit à une petite sauterie privée avec un public de scélérats triés sur le volet. Il y orchestrait avec zèle une humiliation taillée sur mesure pour moi. Fini, les coups sur la tête et les genoux dans les cuisses, j'avais le droit à des poings dans la gueule, des coups de coudes dans le dos, et des bonnes cerises dans les couilles.

J'avais toujours mis un point d'honneur à retenir mes larmes gardant ça pour l'isolement et le réconfort de ma chambre. Mais là, j'avais mal. Mal à l'âme, comme toujours. Mais mal physiquement en plus, trop, pour ne pas leur gâcher le plaisir de me voir pleurer.

Mais j'y allais... samedi 10H... l'heure de la peur au ventre et du masochisme de l'orgueil mal placé.

Ma mère était très inquiète de voir mes notes chuter de façon vertigineuse, Elle m'offrit quelques chemises à fleurs pour mon réconfort et des cours particuliers dans toutes les matières où j'avais décroché.
Français, mathématiques, anglais, psychologie...

Psychologie en 3ème ?
Non ça c'était un petit plus, pour pouvoir percer le mystère de mes silences de plus en plus longs et des larmes qui s'échappaient parfois à table dans mon assiette de petits pois carottes, je devais m'infliger les scéances du psy.
Dr Grenier, ça ne s'invente pas, spécialiste des enfants qui ont une araignée dans le plafond.

-"Si tu ne me dis pas ce qui va pas, je ne pourrais pas t'aider".
Il fallait comprendre "ce qui n'allait pas chez moi". Pourquoi j'étais si différent alors que j'étais "aussi mignon qu'une petite fille avec ses jolies chemises à fleurs". Un visage d'ange quoi. Mais ce type et son cabinet me filaient une trouille bleu, j'étais enfermé dans mon mutisme et lui dans une logique de consultations sans fin où il pouvait creuser les méandres de revenus réguliers sans résultats probants, mais rassurant, pour ma mère car j'étais pris en charge.

Elle consultait aussi régulièrement des voyantes qui voyaient tout un tas de trucs, mais pas Landry le samedi à 10H. Pas l'inutilité d'un psy qui ponctionne son compte en banque, pas la mode des chemises à carreaux, et pas non plus, la tendance des coupes de cheveux masculine fin 80' début 90'.
Elle voyait par contre une prochaine chance inouïe pour ma mère à la loterie que nous n'avons nous, jamais vu.

Et moi, j'avais depuis longtemps perdu l'envie de croire que ma mère comprendrait. Le silence s'était mon truc. J'étais une tombe.

Un vendredi soir gavé par une semaine de trop de railleries sur ma coupe de cheveux, je pris une paire de ciseaux et je me fît une coupe de GI pas réglementaire du tout.
Après son travail, ma mère éreintée, découvrit le mien.

Elle demanda au bon Dieu ce qu'elle avait pu lui faire, pour avoir un garnement lui causant autant de soucis, me colla une claque pour la leçon, pleura de ce que je l'oblige à me faire, me rappela tous les sacrifices qu'elle faisait pour moi, remis un peu de charge sur mes épaules car c'est là qu'elle avait choisi de placer tous ses espoirs, et enfin me pardonna, à condition que je face un peu plus d'efforts pour me sociabiliser.

À contre-cœur et en larme, elle travailla une heure de plus ce soir là, alors qu'elle aurait préférée se reposer de sa journée dans le canapé plutôt que de réparer une fois de plus mes bêtises. Elle fît d'une coupe improbable pour elle: une brosse à peu prêt banale en me rappelant le calvaire d'une mère célibataire.

Je découvris pour la première fois ce soir là dans la glace que j'étais un garçon.

Le samedi matin, je posais mon sac contre le mur de la classe avant de m'enfermer dans les toilettes en attendant la sonnerie retentisse, indiquant que les cours allaient commencer. En théorie ce signal sonore indiquait une période de trêve pour mes brimades quotidiennes. J'aurai bien aimé montrer ma nouvelle coupe de cheveux à mes copains que je n'avais pas, mais une tête à claques se doit de vivre dans l'ombre.

En revenant vers la classe, je vis Landry penché sur mon sac ouvert, occupé à arracher de mon cahier mes devoirs du jour pour les détruire. J'ai senti le poil se dresser sur ma tête.

Hasard du calendrier, ma crise d'adolescence a commencée à ce moment précis.
En le voyant préparer son prochain méfait par procuration, j'ai senti monter une quantité impressionnante d’adrénaline et de testostérone dans mon système cardio-vasculaire.

Et je me suis mis à courir dans sa direction en hurlant.
Mais vraiment en HURLANT.
ENCULÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ !!!!!!!
Puis je me suis envolé après un bref appui propulseur.
Les deux pieds directement dans sa tête, avec en plus une détente horizontale des jambes pour amplifier le contact. Méthode Bruce-Lee.

Sa tête à percutée le mur en béton dans un bruit de son de cloche, mais mat.
Je suis retombé comme un Ninja sur mes pieds et j'ai directement enchaîné par une fusillade nourrie de coups de poings dans sa tronche déjà bien rouge.
Rouge encore, mais cette fois rouge sang.
Difficile de savoir d'où ça venait, il y en avait partout.
J'aurai dû me resaisir, être horrifié, trouver de la culpabilité en moi.
Mais je n'étais qu'heureux.
Ça ressemblait à de la mort. Je respirais. Moi j'étais en vie. Je ne me suis même jamais aussi senti vivant.

La porte s'est ouverte, le prof de physique avait dû être réveillé par les vibrations du tremblement des fondations du collège. J'étais en train d'achever Landry d'un coup de talon tendu dans les couilles.

Après, c'est une courte période un peu floue. J'ai repris le contrôle de ma pensée assit dans le bureau du proviseur en attendant l'addition. Landry était à l'infirmerie emporté par un cortège horrifié.
Moi j'étais assit sur cette chaise à me refaire la scène en me demandant pourquoi je n'avais aucun remord. J'allais me faire crucifier par le Dirlo, ma mère était en route, j'entendais qu'on s'interrogeait sur la nécessité de prévenir les flics ou pas... ...mais j'étais là, bien. Calme. Heureux.
Allez t-il mourir ? Je m'en foutais. Peu importe ce qu'il venait de manger, j'en avais pris en cumulé bien plus dans la gueule que lui pendant ces quelques secondes.

J'ai pensé du haut de mes 13 ans: je vais aller en prison, pas grave tant que lui, il crève.

-"Bon sang ! Mais il vous est passé quoi par la tête ?" Les pompiers arrivent, il est inconscient ! Vous vous rendez compte ?"

Non, je ne me rendais pas compte, j'avais un mal de dingue dans les doigts et le poignet.

Ma mère arriva précédée par celle de Landry, dans le bureau, il commençait à y avoir du monde...
Les deux délégués de classe, le prof principal, le prof de physique, le pion, la psychologue scolaire...

L'infirmière avait appelée la mère de Landry à l'infirmerie, les pompiers allaient l'embarquer à l'hopital, il avait était sonné, le nez cassé et la lèvre fendue, mais il avait fini par sortir du KO.

Une heure après, on savait que c'était des blessures superficielles, mais il restait en observation.
J'étais dégoûté. Je voulais le savoir mort.

J'ai pris cher au début dans le bureau, mais les langues se sont déliées. Curieusement les délégués ont pris ma défense expliquant mon quotidien, mes samedi. D'ailleurs ce jour là, j'avais des avocats, des défenseurs, des circonstances atténuantes, de l'écoute, de la compréhension. À midi, en quittant le bureau, j'avais même des admirateurs et 4 heures de colles...

Pacifisme, mon cul.
Une bonne coupe de cheveux, et avec un peu d'aérodynamisme mon un calvaire qui avait duré du CE2 à la troisième avait pris fin.

Personne n'a jamais su où j'avais puisé cette technique de tueur, avec laquelle David avait pu exploser la tête de Goliath. Pas même moi.
Landry a dû changer de classe, il a perdu son état-major de sales types en même temps. Ces crétins qui lui servait de public se mirent à raser les murs.

Une semaine après, on a appris que la mère de ce crétin ne porterai pas plainte.
Ma vengeance devenait légale. Et lui dû se taper l'humiliation de se promener quelques semaines avec des bandages sur la gueule qui aux yeux de tous signifiaient: tu as pris sur ta gueule par un moucheron.
Nous avons tous les deux été convoqués pour nous présenter mutuellement des excuses, mais nous avons refusé de le faire. Faut pas déconner quand même. 4 heures de colles chacun, (mais pas le même jour), je le regardais de haut maintenant et lui n'avait plus qu'un regard de con et un œil au beurre noir qui était devenu vert, il avait la honte, ça dégoulinait la honte de sa lèvre fendue.

Il a toujours évité mon regard par la suite. Moi je prenais mon pied à chercher le sien sans le trouver.
La rumeurs sur mon enseignement de moine Shaolin a commencée à ce répandre.

Morale de l'histoire ?
Quoi morale de l'histoire ?
Y'a pas de morale.
Que des gros cons et d'autres plus lâches.
Et des types aveugles qui pensent voir ou comprendre.
De la peur invisible qui bouffe la vie.
Pourquoi tu veux qu'il puisse y avoir une morale à ça ?

D'ailleurs par la suite, fort de mes supers-pouvoir de Shaolin, j'ai cru bon aussi d'avoir ma tête à claque. De victime à tortionnaire, il n'y a qu'un pas. Puisque les lâches prennent le parti du plus fort, je risquais quoi au juste ?
A chaque fois que je voyais un crétin s'en prendre à un plus faible, je lui collais la misère jusqu'à ce qu'il finisse par éclater en larmes. Fini le gentil Shaolin, c'était la loi du Talion.

Même pas besoin de reprendre les figures acrobatiques de combat, ma réputation faisais que je n'avais plus à faire la démonstration de la puissance de mon hypothétique high-kick. Je faisais face à une petite terreur et celui-ci capitulait à la première claque de peur de finir en sushi. Du coup je lui en collais deux-trois pour lui faire passer le goût de me défier.
Pour ma défense, je ne m'en prenais qu'à ceux qui s'en prenaient qu'aux autres.
Mais j'humiliais. Il y en a plus d'un qui a dû pleurer dans son assiette de petits pois le soir.

D'un point de vue scolaire les choses se sont mises à bouger aussi. J'avais cumulé du retard dans pas mal de matières, mais je n'avais plus à mobiliser mon énergie à réfléchir à comment esquiver les coups. Là où j'avais des affinités intellectuelles les choses sont rentrées rapidement dans l'ordre, et pour les matières qui m'attiraient moins, ça dépendait essentiellement des affinités que je pouvait avoir avec l'enseignant.

Élève à fort potentiel mais à faible implication (Math sciences). Pourrai mieux faire si il s'en donnai la peine (Français). Élève mieux dans sa peau mais ne participe pas en cours (Anglais). Se fiche de la matière, de l'enseignant et de ses obligations (Histoire-Géo). Des performances en hausses mais ne s'implique pas dans le collectif (Sport). Sans doute l'élève le plus intéressant, imaginatif, précis, méticuleux, spontané, que j'ai eu à croiser dans ma longue carrière (Arts plastiques). Formidable joueur de pipeau sans instrument, aucune écoute sauf à s'entendre lui même parler (Musique).
Le conseil de classe autorise l'élève à passer en seconde, mais l'invite à développer son potentiel, acquérir le goût de l'effort, et structurer sa méthodologie. Ne doit pas relâcher son énergie dans des domaines secondaires.

Un ticket obtenu à l'arraché pour un passage au lycée.

Le lycée, nouvel horizon.
Une petite délocalisation, un changement complet de faune, un nouveau départ.

Je n'avais cependant toujours pas beaucoup de copains. Je n'en voulais pas trop non plus en fait.
Un seul me paraissait suffisant, histoire de ne pas être seul, histoire de ne pas être trop marginal.

Hormones et gymnastique solo, (singée des films de Bruce Lee), m'avaient rendu moins chétif, je commençais même à avoir un peu de masse musculaire, plus que je n'en méritais réellement je l'admet.
Ma mère commençait à s'habituer à me voir avec les cheveux courts, les courts particuliers et le psy ne s'avéraient plus nécessaires, j'ai pu revenir dans une certaine norme.

Sauf que.

On n'oublie pas les baffes et les crachats, les insultes et les humiliations non plus.
J'étais toujours homo dans mon fort intérieur, même si je n'avais pas d'attirance pour l'ami que j'avais. Je préférai la compagnie des filles, avec qui, à défaut de réelles affinités, je me sentais moins sur la défensive.

J'avais développé la faculté d'identifier immédiatement les despotes violents, les petits "capos" sans consistance qui se nourrissent dans leurs pas. Les individus irréprochables incapables d'empêcher les injustices pour ne pas se mettre en danger, et la chaire à canon qui allaient subir une nouvelle année noire. Pendant que d'autres vivaient ces années au rythme des amitiés et des sports collectifs, j'étais au fond de moi un solitaire, perpétuellement aux aguets. Je préférai surévaluer les dangers potentiels pour m'en prémunir que de céder à la confiance nécessaire à la vie de groupe.
Mais j'avais pris de l'assurance, et si je ne bénéficiais plus dans ce nouveau contexte d'une réputation de ninja, j'étais déterminé à utiliser les frappes préventives dès lors qu'une situation diplomatique se serai mise à dégénérée. Pas question pour moi de laisser de nouveau s'installer un déséquilibre défavorable pour moi, peu importai les éventuelles conséquences dans la chaîne de commandement hiérarchique ou le rapport de force qui pourrai m'être défavorable en cas d'escalade, j'en avais trop soupé pour renoncer à la méthode Shaolin.

J'ai toujours considéré le milieu scolaire comme dangereux. Déjà parce que j'en ai largement fait les frais, mais aussi, en tant qu'observateur détaché. J'ai toujours trouvé que le niveau de violence latente était assez élevé, pour moi, mais aussi pour d'autres.

Cette première année de lycée a était pour moi l'année où j'ai pu approfondir une compétence indispensable aux conflits latents, le camouflage. J'avais pour obsession inconsciente de ne pas être identifiable en tant que proie ou en tant que force de frappe. Et le sport m'y a beaucoup aidé.
Cette année là, dans le cycle athlétisme, je me suis découvert un talent que j'ignorai pour le lancé de choses. Des années de pratique en solo de ricochets m'avaient doté d'une détente dans le bras que je n'avait pas vraiment eu l'occasion de mesurer.

C'est au lancé de javelot que j'ai eu l'occasion de m'illustrer. Même le prof a été scotché sur un premier tir public PARFAIT. Le second meilleur lanceur était loin derrière, personne ne m'avait vu venir. Le prof m'invita à recommencer, histoire de vérifier que je n'avais pas bénéficié d'un courant ascensionnel chaud, le second tir était tout aussi bon.
Il eu ces mots:
-"Tu as déjà fait du lancé de javelot en club ?"
-"Non"
-"Tu fais un sport où tu travailles ta détente, comme le karaté ou un autre sport de combat ?"
Et là j'ai compris que dire "Non" aurai été une erreur stratégique dans ma logique de survie en milieu potentiellement hostile.
Je ne voulais pas mentir, alors j'ai souri comme par connivence avec lui.
La scène bénéficiant d'une sorte d'arrêt sur image, j'avais l'attention générale.
Mon sourire silencieux est devenu un "celui là, on ne sait pas ce qu'il fait, mais avec une détente pareil du bras droit, il ne vaut mieux pas le faire chier."
Un petit coup de bluff réussi, je venais de recevoir mon badge "camouflage de lanceur de patates sauvages".

Par la suite, à la moindre occasion je renouvelai l'exploit.
Une sortie scolaire découverte de la nature, on passe à côté de l'étang, un lancé de cailloux dans l'eau s'improvise. plif, plaf, plouf, c'est à celui qui lance le plus loin dans l'eau. Moi j'étais le gars qui faisais "poc" sur un tronc d'arbre sur l'autre rive.
Voir: tchic, tchic, tchic, tchic, tchic, tchic, tchic, tchic, tchic, tchic, tchic, tchiiiiiiiiiiiiiiic, "Poc !" en ricochets quand j'étais d'humeur taquine.
Bon, je ne savais pas si mon poing aurai été capable de traverser la tête d'un agresseur, mais pour tous, mon bras était devenu un mangonneau faisant passer toutes les catapultes en présence, pour des constructions en allumettes.

Cette aptitude m'a permis d'éviter pas mal de situations tendues, le simple fait de contracter mon poing me permettant de désamorcer les conflits.
Je devenais pacifique. Parce que potentiellement menaçant.
Pacifique, mais pas pacifiste.
J'avais toujours ce logiciel en tâche de fond, qui me disais d'appuyer sur la détente le premier, en cas de surchauffe. En général, les autres attendent d'être dans le rouge pour le lancé de patates, moi j'avais convenu avec ma patience, d'envoyer la pression dès le orange, n'étant pas certain de pouvoir encaisser virilement une patate ennemi ne serai-ce que molle.
Principe de la guerre froide où tout le monde est pacifique pour éviter la surenchère barbare.

Comme je bénéficiais de la carte camouflage "Ne pas faire chier", je pouvais plus sereinement m'occuper d'avoir des résultats scolaires approximatifs.
A cette période, je ne percevais pas d'hostilité de la gente féminine, j'avais même de bonnes relations avec les filles. Peut-être le seul avantage d'avoir été élevé dans un salon de coiffure pour dames, je savais quand leurs sourire, quand m'éloigner, quand me taire et comment leurs parler.
C'est d'ailleurs en discutant de mon homosexualité en levrette avec l'une d'entre-elle, que j'ai découvert à ma grande surprise ma bisexualité. J'étais même assez ouvert au dialogue. Et plus j'étais convaincu par ma bisexualité, plus j'en oubliais ma part d'homosexualité au point de la négliger définitivement.
Je devenais donc un homo-contrarié au point de devenir hétéro par dépit.
Vous vous en foutez certainement, mais moi à cette époque, pas du tout. Ça faisais quand même pas mal d'années que je vivais avec cette ambiguïté et les questions en suspend liées aux incertitudes.

Même si c'est sans doute très riche en enseignements sur le pacifisme, je ne vais pas rentrer dans le détail de mes recherches et expériences sexuelles. Disons simplement que je cautionne l'adage "faites l'amour, pas la guerre". Sauf que moi j'aurai plutôt écris: pendant que vous faites l'amour, au moins vous ne faites pas la guerre, ce qui est plus juste je crois.

J'ai pas vu passer l'âge de ma majorité ce moment béni où vous devenez responsable pénalement de vos actes au moment précis où je vivais des choses totalement irresponsables.
Je n'avais plus le temps de faire la guerre du tout. J'avais tellement de fleurs au fusil qu'appuyer sur la détente aurait pu faire exploser la culasse. J'avais autant de copains, que de bouteilles vides dans ma chambre, le front semblait avoir reculé au delà de la colline aux licornes et je me demandais avec force si tout bien considéré je n'étais pas un peu hétéro quand même.

Ah mes 18-22 ans...
Les quatre glorieuses !
L'euphorie de l'après guerre quoi...
Ô Lætitia, Sandra, Tequila, Vodka, Sonia, Marijuana,... et pardon de cette liste si peu exhaustive: je ne sais plus bien qui est qui dans ces souvenirs dansant de lignes et de courbes enivrantes, c'est vrai...
Je n'oublierai jamais, le peu que je me souviens.
La paix, des études qui ne m'ont pas profondément marquées, des expériences non reproductibles et c'est tant mieux, l'absence de preuves photographiques, de vidéos compromettantes, les crimes parfaits quoi.

Hiver 95, j'ai 25 ans.
On discutait avec un groupe d'amis attablés dans une taverne, dépénalisation, amours pluriels, cocktails expérimentaux, on riait, on buvait, on avait oublié l’intérêt de la vigilance. On venait de sortir du bistrot dans des éclats de rire à la recherche du chemin le plus court que la nuit pouvait nous offrir pour finir notre débauche. On était des hippies déguisés en grunges.
On a croisé des Doc Martens lacets blancs, cheveux courts, idées courtes, ils nous cherchaient sans nous connaître. On était le bon stéréotype de quelque chose à combattre. Un poil plus nombreux que nous. J'ai vu un copain s'effondrer le visage en sang, je n'avais pas encore fini de ranger mon sourire.
Cris, hurlements, insultes. Une bombe de haine venait d'exploser dans la rue. Ça frappait de toutes part. D'où j'étais, je serai le dernier à tomber, j'étais à l'arrière des lignes.
J'ai eu peur, j'ai eu rien, j'ai senti ma colère, ma haine et ma fureur. J'ai plongé dans la mêlée.
Sans pourquoi, sans comment, totalement téléguidé par l'adrénaline je ne sentais pas les coups, ni les leurs, ni les miens. J'ai tapé comme si je voulais faire "Poc" en Angleterre depuis le cap gris nez. Poc, poc, poc, plif (celui là c'était pour ma joue), POOOCK (réponse du berger à la bergère). Difficile de savoir au bout d'une minute qui était qui et qui avait vraiment le dessus. C'était un match de l'équipe en noir et blanc contre ceux en couleurs, les chevelus contre les rasés.
Un noir et blanc frappait à terre un de mes meilleurs amis. Le grand pouvoir du Shaolin m'a envahi.
Même topo:
Je me suis mis à courir, j'ai pris appuie, j'ai décollé en hurlant.
- "ENCULÉÉÉÉÉÉÉÉ..."
Et j'ai concentré toute ma colère sur la partie gauche de sa face de rat.
J'ai niqué le chef.
Niqué. Littéralement.
La chance du débutant associée aux supers pouvoirs manga.
Je ne saurai jamais à quel point ce coup a pu avoir eu des conséquences pour lui.
Le "chef" à terre, toute la meute de hyène c'est repliée en le traînant comme un sac à merde.
Dans nos rangs c'était le carnage, j'ai des potes qui ont pris vraiment cher.
Moi j'ai eu du bol, je me souviens m'être pris un violent coup de ceinture métallique, et au passage un coup de poing américain dans l'épaule, que j'ai pu dévier de sa destination originelle: ma figure.
Je tremblais de toutes parts sans ressentir pour le moment la douleur.

Le patron du bar et les clients étaient maintenant sortis, les flics étaient en route, tout le monde était choqué. Beaucoup de blessures superficielles, mais le premier d'entre nous à être tombé avait reçu des coups de pieds coqués au visage, il y avait beaucoup de sang et peu de signes vitaux.
On a accompagné les blessés à l’hôpital, on a été auditionné, disculpé par le patron du café, la légitime défense en cas de blessures grave chez les zombies était établie, dépôt de plainte, mais on a jamais retrouvé ces trous de cul.

On se demande bien où on peut parler de pacifisme dans ce genre de situation.
J'aurai voulu les retrouver un par un et les crever en prenant mon temps façon moyen-âge.
J'ai encore le visage de l'un d'eux en tête aujourd'hui, le reste du film est trop flou.
23 ans après, même au concours international du gros câlin, si le hasard le remet sur ma route, ma haine est intacte. Je le revois galvanisé par la joie de frapper à coup de pompe coquée et sans retenue un gars par terre. Un gars qui a perdu l'usage de son oreille gauche et qui a mis plus de 3 mois avant de ressortir de l'hôpital. Un gars qui aurait pu mourir, parce qu'un connard s'est imaginé à un moment que la violence aveugle et débile était un moyen d'expression.
Je sais pas qui il est aujourd'hui, un père sans doute, ses cheveux ont dû repousser, il s'imagine sans doute que c'est une erreur de son passé. Peut-être même qu'il cultive bien malgré lui un peu de culpabilité vis à vis de sa connerie. Qui sait ?
Je le recroise aujourd'hui, et j'oublie toute forme de retenue. Je reprends les choses pile poil là où elles en sont restées.
Pacifisme mon cul.
Je lui ressert la même colère aveugle, le temps ne fait rien à l'affaire.

Frank, Mathieu, Freddy, Landry et ces fils de putes de skin-heads: j'en fais une petite boulette bien compacte de souffrances jamais vraiment digérées et je me prépare à lui renvoyer à la gueule avec le lancé le plus puissant dont je puisse être capable, en invoquant Bruce Lee et les grands pouvoirs Shaolin Manga. Je visualise bien l'impacte et la dislocation de ses chaires et de ses os et je balance la sauce. En appelant "justice" cette vengeance primale. Je le "Poc" en espérant qu'il en crève.

Y'a pas de morale.
Je vous choque ?
Pourtant la violence est partout. Et pas que dans les conflits armés.
Roméo et Juliette c'est une boucherie, pas un roman d'amour.
Les livres si souvent brandis en rempart à l'ignorance et si souvent encensés par les pacifistes regorgent de meurtres et de sang.

La haine est partout autour de nous, jusqu'au plus profond de nos entrailles.
Alors les appels au calme, au pacifisme pourquoi pas.
Trouver des solutions par le dialogue pourquoi pas.
Choisir le chemin de la paix, pourquoi pas.

Hiver 2018-2019

Je suis dans la rue pour opposer mes convictions face à des fêlons.
Il faut que je reste zen et que je privilégie la raison ?
Ok, je préfère que ça se passe comme ça.

Donc, représentant du peuple dans ta tête. Toi et tes capos en cravate et tailleur.
Toi qui te crois légitime par la volonté de la méthode Coué.
Vient pas me faire chier avec tes conneries et ta rhétorique de bouffeur de laitue. Surtout si c'est pour me la faire à l'envers. Tu prends déjà les choses de bien haut, rien que ça, ça me donne envie de te faire redescendre sur terre pour que tu puisses mieux sentir l'odeur de ta condescendance.
Ce n'est pas parce que tu portes le costume cravate que tu ne manies la com' comme d'autres une battes que tu peux te vanter d'être non violent.
J'attendrais pas d'être dans le rouge ou la gueule dans le caniveau pour envisager une riposte.
Tu veux me voir pacifique ? Alors arrêtes de marcher au son des bottes et ne t'imagine pas que je plierai face à des enculés qui se cachent loin, très loin de leurs premières lignes.
C'est pas moi qui prépare la guerre.
Et je ne vais pas être assez con pour me viander sur un cordon de CRS.
Ce n'est pas parce qu'on m'agite une pinata que je vais cogner dessus comme un abruti.

Si ça pète, et ça finira par péter. C'est l'état major qu'il faut frapper, le chef qu'il faut viser. 
Là on est dans le orange, pour moi, n'oublie pas: même de loin : Poc !

Là on discute, on est calme, tu peux même reprendre une quenelle.
Tu dis que tu aimes ton pays ?
Vient: on va faire un tour en ville à pinces tout les deux, tu vas voir comme le pays t'aime.
Comme c'est bon de se faire cracher dessus et insulter à la récré.
Comment ça fait d'être tout seul, sans avoir son armée.
J'aime pas ta coupe. C'est ta mère qui te coiffe ?


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