On va trouver un truc.

Des fois, dans la vie, il faut être normal.
C'est mieux quand on doit composer avec des gens normaux.

C'est intimidant. On côtoyait régulièrement quelques parents devant l'école où nos enfants partageaient la même éducation nationale. Pour certains, comme nos enfants sont des amis, nous avions entrepris de nous saluer un jour de la tête, avant d'échanger des bonjours articulés, pour enfin partager quelques phrases plus complexes.
Enfin moi c'était plus des vannes. Chassez le naturel...

Voilà, la glace avait fondue, le réchauffement social pouvait avoir lieu.
J'avais pris pour habitude de déployer uniquement du second degré dans nos échanges, appliqué à transformer n'importe quelle situation en voyage dans la quatrième dimension. Nous représentions le noyau alternatif de la déconne à l'heure de la sortie des classes. Nos échanges surréalistes étaient parfois captés par d'autres parents qui avaient beaucoup plus de facilité que nous d'exercer leur retenue sans retenue. Parfois l'un d'eux laissait s'évacuer un sourire avant de vite se reprendre comme si ils avaient fait un petit pet. D'autres semblaient moins réceptifs à la légèreté du ton, Faignant l'indifférence sans un réel talent d'acteur, ils attiraient notre attention sur eux à force de trop être atone. Ils se sentaient probablement mal à l'aise qu'on soit mal à l'aise pour eux, d'être si à l'aise entre-nous. Heureusement nous ne sommes pas dans le jugement de cette navrante platitude.

Et puis un matin, sans trop savoir pourquoi j'ai lancé une invitation à un couple avec qui l'humour filait déjà bon train. L'invitation fût acceptée au vol.

J'avais proposé un petit truc simple à base de pas de prise de tête, grillades et bière dans notre ZAD.
Après trois courtes secondes, mes futurs convives m'interrogèrent sur quelle était la tenue adéquate.
Nous, le plus souvent, on met une paire de chaussure, un pantalon et un tee-shirt, mais je leurs ai bien stipulé que si ils avaient l'habitude de s'habiller en Téléteubiz il n'y avait pas de problème. Par contre si ils choisissaient de venir nus, je préférai le savoir un peu avant pour pouvoir débattre avec ma femme sur l'échangisme.

On a convenu de faire ça le plus "normal" possible. À vrai dire, à ce moment là, je n'avais pas réalisé à quel point j'avais placé la barre haut.

Le jour J, à l'heure H tout le monde était en retard.
Eux, parce qu'ils avaient lu l'intégral du Manuel du joyeux bordel désorganisé. Nous, parce que nous étions co-auteur de cet ouvrage devenu depuis une référence dans le milieu.

À H+00.38, la rencontre à eu lieu. Mais à notre domicile dans un premier temps. Ils étaient déjà venu déposer leurs gosses lors d'un goûter social d'anniversaire. Pour la ZAD, même si ce n'est pas loin, c'est plus compliqué. Il faut faire un 180° sur la départementale à côté de chez nous, la remonter jusqu'au rond point, tourner à gauche dans le village, tourner à droite, zig-zager un peu dans la citée des profs, prendre un chemin qui n'en est plus un, et c'est à peu prêt à 50 m de là où les voitures font habituellement demi-tour parce que leur GPS c'est bien foutu d'eux. Tu tapes "champs de colza" sur ton localisateur, tu as plus de chance de la trouver...

Bref, on allez partir, sauf que ma chatte venait de disparaître de son panier où elle était sensée allaiter quatre jeunes chatons totalement mal assortis et reflétant assez exactement de la biodiversité féline non castrée du quartier. En fait, on ne comptait plus que trois chatons et Némésis avait disparue. Cela n'augurait rien de bon, puisque les portes fenêtres étaient grandes ouvertes, au cas où le soleil voudrait venir faire un tour à la ZAD lui aussi. De leur côté, ils finissaient dans le hall d'entrée, une dichotomie de couple dont nous avions raté le développement pour n'en déguster que la conclusion incompréhensible.

Tout est bien qui fini bien à H+00.38+00.42. Nous étions dans une certaine norme.

Le convoi se mit en fin en route en direction de la ZAD et déjà les enfants se demandaient à quelle heure on goûte comme on a pas mangé.

C'est avec une petite fierté que j'ouvrais avec émotion la barrière très symbolique de ma ZAD, sous la forme d'un grillage torturé, attaché à un piquet, auquel j'allais encore me pincer la paume en forçant sur le lien métallique servant de serrure rudimentaire. Sans le savoir, mes hôtes étaient mon premier test in situ en permaculture en ce qui concerne le social et l'éthique. Une fosse commune avait était préparée en cas d'échec, et je pouvais tout à fait faire passer cette précaution comme le début des travaux pour une marre. De même, en laissant traîner intentionnellement ma hachette, la veille, à côté de mon tas de bois, je n'éveillais pas non plus les soupçons. Je pouvais tout à fait interrompre l'expérience en cas d'aléas, et l'utiliser innocemment à fendre du petit bois pour alimenter mon feu à grillades.

On a commencé l'expérience normalement, avec pas mal de pchiiiit d'échauffement.
La ZAD avait tout de suite soulevée chez nos convives, une lame de fond de questions. Il aurait était bon de faire une liste, tellement je sautais de liane en liane sur l'arbre véloce de leur curiosité.

Alors, magnéto Serge !
Les fourmis bla-bla-bla, les salopes de limaces qu'il faut aimer quand même jusqu'à l'estomac des poules, le test de tiges de haricots nues, pour voir si, quand il n'y a plus de feuilles, mais encore un peu de tige verte, si ça peut reprendre etc...
Tout ça ponctué de pschiit, mais surtout lui.
C'était un pschiiiteur de 2 mètres de haut. Beau spécimen d'expatrié Breton.
Super curieux de ma ZAD, c'était plus proche de la coloscopie que de l'intérêt de courtoisie.

Jusqu'à...
LA question.
Pourquoi ?

Rhô, je ne m'étais pas méfié, derrière son allure tout à fait normale de géant de 2 m, il avait dans sa poche ma came préférée. De la poudre de j'ai entendu parlé du réchauffement climatique, mais l'homme va trouver un truc. Me voilà direct en nage. Tremblant de partout.
Je lui ressert une pschiit pour qu'il soit bien chaud, j'en oublierai même que je suis en train de perdre le feu, heureusement les gémissements des mioches affamés, m'aident à cacher ma dépendance en créant une diversion efficace. Je me ressaisis rapidement. Peut-être a-t-il perçu une faiblesse, mais j'en doute, il est sous pschiiit lui même, et ses yeux commencent à se relâcher par le bas.

Je tâte le terrain, je veux savoir si sa came est pure ou déjà bien coupée par des intermédiaires du mainstream.

- Ça dépend par ce que tu entends par "Pourquoi" ? (J'avance prudemment).
- C'est à cause du réchauffement climatique que tu t'es mis au jardin ? J'ai entendu à la télé que ça a tué des abeilles à cause des inondations.

Silence.
Elle est pure.

Je ne sais par quel miracle nous avons fini par nous retrouver à table face à des grillades à la cuisson parfaitement maîtrisée à H+04.11.

Entre temps, j'avais réussi à placer ma description du mode de vie dans une banlieue pavillonnaire façon enfer de Dante, mon ode à l'anarchie verte, un dossier complet sur la géo-décadence, l'intégral de la fin du monde selon monsanto et nutella, plus jamais il ne pourra regarder la petite maison dans la prairie sans sombrer dans une crise d'angoisse existentielle.

Je ne voulais pas au départ, je voulais la jouer normal.
Mais j'y connais rien au foot en fait. J'ai appris la semaine dernière que Zidane n'étais plus joueur dans l'équipe de France, c'est dire...
Déjà ça m'ampute de la moitié de la normalité, c'est une forme d'handicap.
En plus j'en ai rien à battre des belles voitures et je n'y connais rien en vins.
Question normalité, je traîne la patte à faire pitié.

Du coup, j'oublie que j'ai ces tares et je lui parle de permaculture.
Normalement, c'est là que les choses sortent définitivement des rails question discussion sociale et éthique. En général dans la demi-heure qui suis, je nettoie ma hachette avant de reboucher un gros trou.
Mais là non. mon invité me monopolise tellement que je m'aperçois que j'ai passé très peu de temps avec son épouse et la mienne. J'ai juste eu quelques courtes interactions avec Alex pour lui demander de servir à boire à nos amis, elle adore tellement papoter qu'elle oublie systématiquement de proposer à boire à tous nos invités. En fait, si elle vous invite et que je ne suis pas là, prévoyez vos gourdes ou vous aller crever de déshydratation. L'air gênée, elle prend quand même la peine de finir sa phrase et son paragraphe puis va chercher à boire pour revenir avec un paquet de cacahuètes et c'est tout.
À la maison si vous avez soif, c'est à moi qu'il faut s'adresser.

Bref, nous étions enfin à table à quatre après avoir fait manger les enfants, et le géant Breton entrepris de résumer notre conversation à sa femme. En général je préfère ne pas parler d'apocalypse en mangeant, mais pour une fois que ce n'est pas moi qui joue les prédicateurs, je laisse faire.

Je ne veux pas forcer le trait pour faciliter l'exercice d'écriture, mais j'ai quand même un peu l'impression que dans les petites banlieues pavillonnaires, ça parle pas beaucoup réchauffement climatique sur les chaînes payantes.

C'est vrai que c'est pas très gai tout ça. En général à ce stade on préfère parler de choses moins tristes. On conclu souvent en se disant qu'on sera mort pour se rassurer. Qu'on a la chance d'être des privilégiés. Qu'on va trouver une solution. Inventer un truc.

Tilt !

La je vous jure que c'était pas moi. Moi je profitais juste de la soudaine passion, de mon invité disproportionné, pour le cancer de la planète, en me gavant silencieusement de grillades. Il s'est mit à chercher des solutions à faire passer la permaculture pour une jeu de cube.

On peut par exemple fabriquer des bateaux géants pour aspirer le plastique de la mer. Ou encore, installer des entonnoirs au dessus du permafrost pour récupérer le méthane. On peut aussi envoyer nos déchets sur la lune, bombarder les pôles avec de l'azote liquide pour refroidir l'eau et fabriquer des glaçons. On peut faire des robots de nettoyage, des panneaux solaires géants en orbite, désaliniser les océans avec des usines et inventer une énergie comme le nucléaire mais propre. L'homme a toujours inventé des trucs, on va trouver quelque chose.

Je venais de finir mes rib's quand il évoqua les drones pollinisateurs.
Je me permis de lui dire qu'un brevet venait d'être déposé, ce qui illumina son visage et lui redonna foi en la vie et en l'homme.

- Ah ! Tu vois ! me lança t-il fièrement d'une virile tape sur l'épaule, sans même plier le dos dans ma direction, ce qui aurait pu m'alerter de l'impact. Des solutions existent.

Je regardais Maya butiner mes fleurs de thym en priant qu'elle ne comprenne pas que son sort était scellé. Que le nouveau modèle de drone pollinisateur Zzz Br 4.0 venait de signer définitivement le j'm'en foutisme humain pour celles de son espèce.

- Et Maya ? je lui dit quoi ? Parce que je sais qu'on ne fait pas d'omelettes sans casser les œufs, mais là, c'est la recette de l'omelette sans les œufs...

Il fronça un peu les sourcils...

On peut faire des zoo's où elle pourront se reposer, comme ça on sauve l'espèce, mais on peut gérer comme on veut la pollinisation avec la technologie.
Normal quoi.
C'est de l'omelette à la coquille.

Pourtant à la base on était sur de la Leffe, et il réagit comme si j'avais sorti la gnôle à Henri.
M'est alors venu en tête une citation de Bernard Weber: je préfère donner à réfléchir que convaincre.
Jusque là je ne voyais pas la faille dans son raisonnement, maintenant oui.

J'ai rebouché le trou.
L'éthique en perma c'est un peu comme le coup des limaces et des jeunes plants.
Je ne maîtrise pas bien encore.

Zeb.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La permaculture c'est bio ?

Les trois petits cochons.