Discussion avec Georges.

Georges n'existe pas. C'est un peu comme à mon habitude, je crée le personnage.
Il n'existe pas, mais tout le monde le connaît vous allez voir.

La scène se passe en 2018.
Je suis dans mon jardin, c'est la mi-mai, 27° pour les saints de glace.


Georges passe dans la petite impasse qui longe mon terrain, il promène son chien.
Nos regards se croisent, nous nous sourions, c'est un voisin (imaginaire), il m'aime bien je crois, moi aussi je pense.

- Qu'é q'tu fais min tiot ? (trd: Que fais-tu jeune homme).
- Je tente un truc avec des patates, j'ai vu ça sur internet, un Belge qui fait pousser ça sous de la tonte de gazon.
- Et ch'elle de l'Belge qui dit "château fort" t'el la connaît chelle là ?
- ?...
- CHATEAU FORT !!! (et il explose de rire).
- je souris poliment (j'en connaît des meilleurs sur les Belges)
- Je rattrape le fil de la conversation et lui explique le principe que j'expérimente.
- Té va buter quin mêm' ? (Je traduis plus...)
- Non, je remettrai un peu de tonte.
- Ché l'mode ed met' ed'paille partout ach'teur. (Je traduis pour KH Gahem uniquement: c'est la mode de mettre de la paille partout aujourd'hui.

Change t-il de sujet intentionnellement ?

- Oui, je paille mon sol.
- V'zez ça aussi din l'temps, té veux que j'passe un coup d'produit pour crâmer ché mauvaises herbes ? Ché plein d'orties là...
- Je les laisses, je voudrais récupérer les tiges pour la fibre. C'est un essai que je voudrai faire, j'ai vu ça sur internet sur un site Belge...
-Té veux faire pouché des frites tio ?

En fait je ne sais pas pourquoi je m'embête à faire de Georges un Ch'ti pur jus. Pour faire un contraste entre le citadin qui tend à la néo-paysannerie et l'ancien, rural jusque sous les ongles, et endémique du secteur, peut-être.

- Entrez Georges, je vais vous montrer.
- Fait chaud hein ? J'vôi qu'ta d'el bière ?
- Vous en voulez une ?
- Bah com' ché ti qui l'propose, é'j'di pô non.

Pschiiit (x2)

- Alors, qu'é q'tu fais ichi ?

[Monologue pédagogique sur les principes basiques du jardin permaculture]

Après qu'il ait accepté une seconde bière (pschiiit unique), il semblait tranquille, il s'était assit sur le banc que j'avais bricolé avec des palettes, son chien aussi se sentait bien, il était en train de faire sa crotte au pied de ma tour à fraise.

- Té bossait pô chur des minitels avant ?
- Sur ordinateur oui.
- Pi té fais du gardin à ch'teur...
- Oui.
- Té va nettoyer quand ? Ché l'souk là. (Rires)
- Je vais laisser ce coin là en friche, là je vais mettre du maïs noir, du multicolore et du jaune, là c'est mes petits pois qui sortent de la paille (j'ai oublié de l'enlever, mais c'est bon, ils ont trouvé la sortie seuls), là je vais mettre des tomates, là bas aussi, ça c'est pour les potirons,...
- Té r'tourne pô l'terre ?
- Non, j'ai fais pousser des vers de terre cet hiver, on m'a dit que c'est eux qui feront le boulot.
- Té raconte incore un'hichtoire Belge là ? (Rires).
- Je soulève la paille pour lui montrer la vie qui grouille.
- Té va avoir plein d'limachons (limaces).
- Non ça va, elles ont un coin là bas pour elles... (il rigole amusé)
- Et tes bestioles bougent pô d'leur coin ?
- Si...
- cha doi êt' des limachons Belges alors... (Rires), ché des migrants quoi ! (Rires) Té veux que j'passe met' un coup d'produit ?
- ... non c'est de la permaculture.
- Té donne à bouffer à ché bestioles quoi (Rires), Ouais, ché l'gardin Belge ! (Crise de fou rire en solitaire, totalement hors contrôle. Il s'étouffe. Heureusement, une troisième bière lui hydrate la gorge et lui sauve la vie).

Le silence s'installe à nouveau.

- Tu es là pa' ?

Voilà Jacques, le fils de George, mais lui préfère qu'on dise "Djack", faut prononcer le "d" qui n'existe pas.

On l'avait pas entendu arrivé avec sa Lexus électrique.

- In ch'ouvient d'sin vieux ?
- J'ai plein de boulot... mais putain j'ai pété mes objectifs ce mois-ci, ils vont cracher la big-prime ! (gestes chorégraphiés de grande victoire, sourire d'auto-satisfaction, orgasme). Ça va Charles Ingalls? me lance t'il en me tendant la main avant d'essayer de me l'arracher façon Trump.
- Ça va J.R. ? (ça va pas le faire avec ce nouveau personnage, il va vite me gonfler).
- Ah ? tu fais de la permaculture ?
(Me serai-je trompé sur son compte ?)
- J'ai lu un article là dessus, des gars portaient plainte contre vous à cause de la prolifération des nuisibles. C'est des nids à tiques. Enfin toi je dis rien, ton terrain est en bordure de champs c'est pas pareil. C'est moins gênant.
- Tu bosses dans quelle branche déjà ?
- J'achète des bois à des particuliers et je les revends par lots. Les Chinois s'arrachent ça comme du petit pain. Ça crée des emplois. Tu veux pas que je te pistonne toi qui aime la nature ? On a besoin de bûcherons, tu serais au grand air !
- Oh oui ! Ça serait formidable ! Et après j'irai y replanter des palmiers pour les revendre à Total. On s'associe en douce, on fait venir des roumains au black pour s'en occuper et des prostituées des pays de l'est juste pour le fun. Je signe où?
- J'ai piqué ta fibre écolo ? Pourtant tu devrais moins faire la gueule avec Nicolas Hulot au gouvernement. Dans ma boite on a une charte environnement: tous les cadres roulent en Lexus électrique et le siège est autonome énergiquement ! ça c'est du concret ! Tu caricatures tout, mais ont est vachement impliqués !
- Sur les Bulldozers vous avez collés des autocollants "sauvons les abeilles" ? Les tronçonneuses sont au bio carburant ? Y'a pas trop de bestioles dans vos bois au moins ? J'aime pas les petites bestioles. Je te promet d'étudier ton offre.
- En vrai tu es un feignant. Tu préfères les allocs. Toujours dans la critique, mais rien à proposer. Ou plutôt si, Cro magnon à chasser le sanglier et cueillir des baies en jouant du tambour.
- Tu m'as percé à jour. Je vais poser les mains au sol calmement, je me rend.

-Oh! ché jeun's, vous zallez pô vous bat' ?!!!
(J'avais oublié Georges).

D'Jack et moi étions dans un échange de regards lourds d'un mépris équitablement partagé.

- Ton père à raison, on va en rester là on va pas tomber d'accord. Ne reste pas plus longtemps, tu vas ramener des pucerons chez toi et j'ai oublié de filer à bouffer à mes limaces. En plus avec ton petit short Lacoste, tu vas te chopper des tiques dans les mauvaises herbes.
- Ouais, bah en attendant chez moi on traite, on est responsable, on pense aux voisins.
- Bon, je te raccompagne pas, il faut que j'aille calmer mes vers de terre, je les sens en stress, la dernière fois que je les aient vus comme ça, le facteur c'est fait bouffer la jambe.
- C'est ça, va expliquer la vie à tes poireaux !

Je le ferai bien s'encastrer avec sa Lexus dans le réservoir à glyphosate d'un tracteur qu'il essayait de doubler. Comment il me parle se blaireau...

Mais je vais juste le laisser se démerder avec les statistiques et le monde qu'il a choisi: dans 3 ans, la super baraque qu'il vient de faire construire sera à vendre pour parer à son divorce. Sa femme en aura marre d'un mari qui n'est jamais là, même pour ses gosses. Et puis elle a kiffé sur un gars rencontré sur un groupe perma. Ces gosses eux, vont lui pourrir la vie en profitant à leur avantage de la situation. Il n'aura pas la promotion qu'il visait parce que Mike, bien moins sous pression, lui aura fait à l'envers. La boite fermera un peu plus tard, délocalisée pour un pays où il reste encore des arbres à zigouiller. Il deviendra à son tour une pauvre merde de l'espèce qu'il a toujours méprisé. Il sombrera dans l'alcool et fera pousser des patates sous gazon pour subsister.

- Bon Georges, je vais te donner congé, je vais aller chercher les enfants à l'école, c'est l'heure.
- Ché du souci ché gosses...
- Là dessus on est d'accord.

D'Jack, si tu m'entends,...

Zeb



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