Pourquoi mon âme ne va pas brûler en enfer.



Bien avant de comprendre ce que ça voulait dire, j'étais chrétien. J'ai toujours été précoce, mais là, à trois mois, j'avais déjà mon baptême les doigts dans le nez.
Dans la foulée, j'ai enchaîné les diplômes, première et deuxième communion dans une apothéose d'Alléluias. Comme j'étais tout petit quand ça a commencé, je ne me souviens plus de ce qui a été le déclic de tout ça. Je ne m'étais d'ailleurs pas posé la question. En tant que scout, j'étais un enfant de cœur si vous me permettez l'expression.
Pour mes dix ans, mon mercredi était bien réglé, 10h dentiste, 11h catéchisme, 12h nouilles-jambon, 14h-18h scout de France.
Mais voilà, à 10h il y avait le dentiste. Le gars avait décidé de me ruiner tous mes mercredi matin pour me passer à la roulette, j'avais l'abonnement toutes options. Et c'est là, que j'ai entendu parler de gourmandise pour la première fois. Entre les mains de ce rugbyman nazi qui s'amusait à m'éclater les molaires à la foreuse, lors de nos rendez-vous hebdomadaires. Soit disant, les fraises Tagada's m'avait cariés les dents. Et là j'expiais de mes pêchés.
J'aurai bien aimé en parler un peu au curé pour avoir un contre avis médical, mais j'avais la bouche encore anesthésiée à onze heure et la gueule franchement de travers. Le père machin pensait que j'étais juste attentif et plein de recueillement, j'avais mal mon père, aujourd'hui je le confesse. Un jour, alors que le dentiste était parti en vacances avec les sous de mes caries, j'ai pu enfin poser ma question innocente au berger, mon guide. Père (c'est la coutume d'appeler le curé comme ça, tout le monde est père, sœur ou frère à l'église) , père donc, pourquoi la gourmandise donne des caries.
Question innocente. Enfin ça c'est ce que je croyais, et j'en croyais des trucs à l'époque...

J'ai vu ses yeux faire des trucs de fou en dessous de ses gros sourcils, puis il m'expliqua, investi d'une toute puissante colère contenue, que le gourmandise était un pêché capital. Rien de moins. A dix ans, et comme j'étais déjà précoce, je le répète pour ceux qui ne le sont pas, j'ai tout de suite fait le parallèle entre ma toxicomanie au sucre de fraises synthétiques et la punition divine, qui s’exerçait en représailles dans ma bouche, via le bras de Dieu sous la forme d'un dentiste sadique.

Un pêché capital c'est quoi ? J'en avais bien entendu parler un peu, mais avec un genre de parental lock qui m'empêchait alors, d'en prendre toute la mesure. Une image valant mieux qu'un long discours, toute la procession de jeunes chrétiens fût conduite par le berger en soutane, au pied du triptyque du jugement dernier qui était enfermé à double tours dans une dépendance de l'église.

Et là, l'horreur.
Moi à cette époque là, je pensais naïvement que le pire truc qu'on puisse faire à quelqu'un, c'était de lui coller des crottes de nez sur sa chemise, j'étais assez loin du compte.
Face à moi, des tas de gens nus tombaient dans un gouffre. Je découvrais l'enfer en image.
L'enfer, c'est quelque chose qui se passe sous terre apparemment, et où des tas de monstres à cornes, armés de pieux, jouent à la mort, avec des hommes et des femmes qui tombent dans le trou. Le curé comme possédé, agitait sa baguette un peu partout sur la peinture, pour être certain que nous ne rations aucun détail sordide de ce qui nous attendait, si nous choisissions le côté obscur de la force.
En regardant bien, entre deux éviscérations, un écartèlement, des décapitations, et autres actes de rôtisserie, on voyait même un démon démoniaque, ouvrir la bouche d'un gars, pour lui arracher des dents. Un dentiste à coup sûr. La vache, tout ça pour une fraise Tagada... ça rigole pas trop en fait, Dieu est amour, certes, mais il est sévère quand même.
J'aurai dû m'en douter, déjà avec l'histoire de la pomme.
Un truc de fou: Dieu dit à Eve de ne pas toucher à la pomme. Eve est une femme, paf ! Elle la croque quand même, normal elle est sotte. Et là, Dieu pète un câble. Peut-être que ça devait être sa seule pomme ou un truc comme ça, et il puni Eve en lui mettant des trucs qui piquent dans le ventre pour qu'elle morfle sévère à chaque fois qu'elle aura des enfants, et pas que elle. Tous ses enfants filles aussi. Il y tenait sacrément à sa pomme. Dans le genre, j'ai la rancune tenace, Dieu se pose là.
D'ailleurs dans la bible, on sent bien qu'il ne peut pas encadrer les bonnes femmes, il ne leurs adresse que deux fois la parole, une fois pour leur dire la punition du ventre qui pique, l'autre pour leur dire de bien obéir à l'homme, sinon c'est la torgnole. Et tout ça à cause d'une pomme rappelons-le. Enfin, je vais laisser la pomme de côté, moi mon problème, c'est les fraises Tagada.

J'étais damné. Parce que non seulement, j'ai pas réussi à décrocher tout de suite de mon addiction, et que le dentiste est revenu de ses vacances assez rapidement. Déjà que je ne l'aimais pas trop, mais après l'image de l'enfer que le curé avait sorti de sa remise, les séances de tortures du mercredi avaient vraiment une saveur apocalyptique.

Puis un jour, j'ai arrêté. Au lieu d'aller me faire damner les dents, puis d'enchaîner l'auto-flagellation mentale au caté, je suis devenu un paria en me cachant pendant ces deux heures là, au milieu des âmes errantes du marché. Donnant les sous du dentiste au marchand de bonbons, sous les regards incrédules des femmes, achetant des pommes au kilo, sans se douter qu'elles allaient payer cher plus tard cette infamie.

En tous cas, depuis cette époque, s'en était fini pour moi de l'image d'un Dieu débonnaire, gentil barbu avec sa collection d'enfants ailés et sa musique un peu ringarde. Je me méfiais de Dieu encore plus que de Mme Liskouët, l'institutrice stagiaire, qui nous donnait des cours de grammaire le lundi après-midi. Et elle, dans le genre démon du premier cercle, elle était déjà pas mal.

Bon je vais sauter quelques épisodes, parce que si je raconte tout, ça va être un pavé plus gros que la bible, et de nos jours, l'internaute moyen n'a pas la capacité de concentration pour tout suivre.
Vous ne saurez donc pas ce qui c'est passé exactement quand (le même jour) le dentiste et le curé ont appelés ma mère pour lui dire qu'ils ne me voyaient plus à leurs séances de tortures. Vous vous doutez bien que ce jour là, j'ai vu l'enfer de près.

Bref, me voilà au porte de l'adolescence, j'avais décroché de la fraise Tagada pour me réfugier dans le pain au chocolat et le Coca. J'étais orgueilleux comme un pape depuis que j'avais un peu de poil autour du zizi à luxures. J'étais super en colère contre les adultes qui ne voulaient pas qu'à 13 ans j'aille seul à Tombouctou chasser le hippie. J'étais avare de bonnes notes. J'adorais les grasses matinées et j'avais envie qu'on me laisse tranquille. Les sept pêchés capitaux dans le désordre.

Foutu et même pas majeur. Et Dieu Omniscient qui n'en rate pas une.

Bref, pour me sortir de là, je n'avais pas trop le choix. Il me fallait faire un deal avec le boss du sous-sol. Faute de poules, j'habitait en ville à l'époque, j'ai sacrifié quelques œufs sur un pentacle en espérant décrocher un boulot de cadre en enfer. J'avais demander le donjon luxure,...

C'est au lycée, à l'aube d'obtenir le droit d'être jugé responsable pénalement de mes actes, et toujours sans nouvelle du boulot de responsable auxiliaire du département luxure, que j'ai finalement commencé à me douter que quelque chose avait dû m'échapper.

Pour mon âme, c'était grillé de toutes façons, j'avais même entamé une série de stages en luxure pratique, histoire de ne pas être trop à la ramasse si le poste devenait subitement vacant. (Tout ce qu'on raconte sur le local photocopieuse est vrai).

Petit à petit, j'ai commencé à détricoter toutes les histoires que le curé m'avait mis en tête, en profitant de l'influence des anesthésiques du dentiste. Aidé dans la démarche par le prof de biologie, de chimie et de physique. Même le prof de philo s'y est mis en douce, mais lui c'était plus pour remplacer mes croyances par les siennes. Salaud de gauchiste Trotskiste. 

Je passe encore un bout de l'histoire, sinon je vais dériver sur des histoires scabreuses, à cette époque mon âme a dérivée grave. Et puis la désintoxication religieuse à coup de sciences c'est un peu cru faut le reconnaître. 

Bref, j'ai survécu à l'adolescence.
C'est jeune adulte, à 37 ans, que j'ai finalement fini par rationaliser totalement les choses.

Le curé, a quitté l'église. Il s'est fait griller avec une paroissienne en pleine offrande de petits pêchés capitaux. Tant pis pour son âme, il a préféré un poil de luxure, quitte à passer au barbecue.
Le dentiste est mort. Un accident de bagnole à la con, j'espère qu'il a fini en bas, à se faire labourer la mâchoire à la Fraise pas Tagada en acier oxydable, pour les siècles des siècles.

Moi, aujourd'hui, j'ai une dent contre l'église, façon carie mal soignée. En fait, c'est vrai face à la religion, j'ai la mâchoire toute entière qui grince. Je ne sais pas si Dieu existe, je lui accorde le bénéfice du doute, juste pour l'exercice de style, mais si il est, ce qu'autant de gens pensent qu'il est, je suis certain qu'il est vert de honte, ou de rage. Honte de ce qu'on lui fait dire. Honte d'avoir été ainsi transformé en épouvantail à conscience. Honte d'avoir été utilisé depuis des siècles pour justifier l'injustifiable. Honte de servir de passerelle à l'intolérance au nom de la tolérance. Honte de voir autant de gens se priver du plus beau de ses cadeaux: le libre arbitre. Honte de voir ce que certains font de leur intelligence.

Dieu peut-être, pourquoi pas.
Religion certainement pas.

Et si l'heure du jugement dernier approche, je n'ai pas l'impression que je prends plus de risque à rencontrer mon créateur, que l'un de ses plus fiévreux dévot zélé, brandissant son livre saint.
Au moins, le mien de livre, c'est moi qui l'ai écrit et sans verser une goutte de sang.

Les histoires de bergers qui gardent le troupeau, c'est un truc d'humain pour justifier l'abattoir.

Enfin moi, c'est ce que je crois et c'est pas plus con qu'autre chose.

Zeb, damné et toujours candidat au poste luxure.

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