Les Zwawalo's


Les oracles n'étaient pas bons depuis quelques temps.
Krapatok le sorcier était soucieux. D'ailleurs, cette nuit là, il avait encore mal dormi. La plupart du temps, son travail est plutôt agréable. Sorcier ça en impose et ça lui procure tout un tas d'avantages. Il dispose de baies broyées de Bawaké à volonté, il n'est consulté que pour des problèmes de fécondité, les petits maux du quotidien, et pour la lecture des oracles. Ce qui lui laisse pas mal de temps pour pipeauter son Bawaké. Mais voilà, sans savoir pourquoi, insidieusement, les choses se sont mises à changer dans sa tête. La tribu allait devoir faire face à de profonds changements. Les oracles ne mentent jamais, il en était absolument convaincu, d'autant que c'est lui qui faisait toujours dire aux oracles ce qu'il voulait. Le temps du grand chamboulement arrive.  Il était temps pour lui de se tirer les doigts du cul, et que toute la tribu l'accompagne dans cette démarche délicate pour se sortir de la tribalité, chose qui n'avait jamais été faite et ça ne sentait pas bon.

Le soleil était encore bas sur l'horizon, quand Krapatok quitta son antre et se dirigea en titubant vers le village. Malgré le solide appuis que lui procurait son bâton cérémoniel, la consommation de Bawaké avait la fâcheuse tendance à rendre la route plus sinueuse, qu'elle ne l'était vraiment.
Le village dormait encore, et ce n'est pas le chant du Kokotapoul qui pouvait y changer grand chose.
Les Zwawalo's étaient de gros fumeurs de Bawaké, ce qui avait comme effet, de rendre le sommeil riche en rêves et le repos très profond, ça fait rire bête également. Une journée normale ici, commençait assez tard, les villageois s'en remettant le plus souvent au soleil pour les tirer du lit. Il fallait pour ça, qu'il monte suffisamment haut dans le ciel pour transformer les huttes en étuves. Les Zwawalo's avaient une organisation sociale assez simple, un peu d'agriculture, un peu d'élevage, un peu d'artisanat, beaucoup de Bawaké. Les décisions étaient prisent de façon collective dans une logique d'équité. Le temps libre étant aléatoirement réparti entre des siestes érotiques, des activités artistiques sensuelles, et des temps de jeux sur fond de délires amicaux inspirés par le Bawaké. Tout le monde était tellement heureux que personne n'en avait vraiment conscience. De plus, le village bénéficiait d'un ensemble d'atouts géographiques qui le mettait totalement à l'abris des aléas, et l'écosystème s'intégrait parfaitement au mode de vie des villageois.

Même en forçant sur le Bawaké, il était impossible de partir en paranoïa, le bonheur constant rendait le concept impossible. Les Zwawalo's étaient, semble t-il, condamnés à un bonheur éternel sans vague. Tout ça reposant sur un bon-sens uniforme dont chacun entretenait la continuité.
Krapatok s'approcha du tronc creux, pris le manche à percuter et frappa trois fois. Jamais personne n'avait eu besoin de déclencher le tri-gong, le signal d'alerte. Peu à peu, dans un demi coma sympathique encore marqué, des silhouettes nues se présentèrent aux portes des huttes. Les Zwawalo's aimaient être nus. Et ils étaient beaux ainsi les bougres.

-"Posfesse !" cria Krapatok, invoquant ainsi la réunion du conseil du village. Mine de rien c'était un événement, personne n'avait jamais assisté à un posfesse. Un peu incrédule, tout le monde fini par poser ses fesses au posfesse. L'attroupement chuchotait sa surprise, Krapatok les fit taire en agitant ses bras d'une chorégraphie improvisée comme seuls savent le faire les sorciers.
-"Zwawalo's, notre civilisation souffre d'un mal terrible, et ce n'est pas moi qui le dit, c'est les oracles. Ainsi notre mode de vie séculaire fonctionnant à l'harmonie et au bon sens collectif nous condamne à l'immobilité."
Tout le monde applaudit sans trop savoir pourquoi, ou peut-être inconsciemment, pour essayer de mettre un terme au posfesse qui finalement se montre être un truc assez chiant.
-"Beau discours ! " Dit Moudubulb en se levant, il était venu au posfesse sans son pipeau à fumer du Bawaké et le temps lui semblait long...
Krapatok qui n'avait pas oublié le sien, tira une longue note de fumée bleue dessus, pour se retenir de frapper violemment Moudubulb sur le crâne.
-"Bon les gars je ne déconne pas, il faut sortir de cet immobilisme tribal, et entrer dans une nouvelle aire où l'individu fera preuve d'imagination et de créativité en toutes choses, pour nous permettre d'évoluer en tant qu'individu dans un projet de société élaboré et moderne." Krapatoc s'étonna lui même de sa tirade. Tout le monde applaudit à nouveau, parce que c'est vrai, ça en jette dit comme ça.
Moudubulb dit: "Pfffff..." Krapatoc ne pris pas le temps, cette fois-ci, de tirer la note et lui fracassa le crâne avec son bâton.
-"Je remercie Moudubulb d'avoir bien voulu servir d'exemple." Désormais, il faut se casser la tête un peu plus, et inventer des choses.
Les Zwawalo's regardaient incrédules Moudubulb, le premier homme de la tribu à s'être vraiment cassé la tête pour que s'opère le changement. Et tous eurent peur du changement.
Krapatok fût lui même surpris de ce que son bâton avait pu faire d'un coup sec, comme un pro. C'était comme si un énorme bloc de gré était tombé du ciel sur la caboche de Moudubulb. Il déclara que "Pro-gré" était désormais le nom de son beau bâton, et en menaçant le reste de la tribu avec, il affirma que personne désormais n'arrêterai le Pro-gré.
Le posfesse était clos, chacun était invité à lever ses fesses et à ce casser la tête sans se l'ouvrir pour trouver des choses qui ne mettent pas le Pro-gré en marche tout en faisant bouger les choses. Un posfesse serait prochainement organisé où chacun sera invité à proposer quelque chose allant dans le sens d'une évolution.

Ce jour là, chacun se mit à réfléchir sérieusement à ce que Pro-gré était capable.

Depuis quelques jours, Krapatok observait depuis son promontoire de sorcier, l'effervescence nouvelle qui s'était emparée du village. La routine qui berçait la vie des Zwawalo's semblait avoir disparue. Chacun s'agitait à trouver quelque chose de nouveau à faire pour pas contrarier le Pro-gré.

L'un d'entre eux, en partant du constat que le pro-gré avait rendu obsolète Moudubulb à une vitesse qui en avait surpris plus d'un, entrepris de se prémunir de sa propre obsolescence, en se couvrant la tête d'une demi noix de Bolok. Un voisin à lui l'imita parce qu'il n'avait pas réussi à avoir une idée vraiment nouvelle, il décida d'appeler ce mimétisme, "être à la mode". Rapidement tout le monde se mit à la mode en attendant d'avoir une idée originale. Une jolie villageoise profita de l'effet de mode pour créer l’accessoire de mode en collant sur les noix de tout le monde, des petits objets inutiles, mais fort pratique, pour que chacun puisse retrouver sa demi-noix facilement.
Dans cette course à l’innovation, il y eu quelques échecs. Notons par exemple l'invention du quadruple pipeau à Bawaké dont l'inventeur tira une note, tellement haut perchée, qu'il n'en redescendit jamais.

C'est à l'aube du troisième jour que Krapatok se rendit à nouveau au tronc creux, pris le manche à percuter et frappa trois fois.
-"Posfesse" hurla t-il.
Ce matin là, toute la tribu était à la mode. Sauf lui.
-"Les oracles m'ont à nouveau parlé mes frères".
Chacun vérifia que sa noix de Bolok était correctement fixée juste au cas où...
-"Le premier truc qu'il faut inventer pour avancer dans le sens d'une civilisation moderne c'est ?..."
-"La télosh ?" proposa un jeune du village.
Krapatok avait le Pro-gré qui le démangeait, mais il se retint de lui faire faire un bon en avant, la civilisation était encore balbutiante il ne fallait pas non plus que le Pro-gré devienne contre productif.
Pour cette fois, il décida de faire preuve de pédagogie.
-"Non, pour inventer la télosh, il faut d'abord découvrir l'élektrik, et l'onde hertzienne et ce n'est pas avec ta consommation de Bawaké qu'on en est à demain la veille, soyons modeste, on galère déjà avec l'alliage de bronze, restons sur des objectifs à notre portée."
L'assemblée acquiesça, c'est vrai que couler un bronze c'est pas si facile que ça.
-"Les oracles nous demandent d'inventer la guerre. La guerre c'est facile, c'est à notre portée et c'est civilisé. En plus la guerre est propice à l'évolution technologique."
-"En quoi consiste la guerre ?" demanda le jeun's qui se voyait bien devant une télosh.
Krapatok fit une percée fulgurante dans l'assemblée pour se tenir face à lui, et d'un geste précis et rapide lui enfonça bruyamment le Pro-gré entre les dents jusque dans la noix.
Il se retourna vers le reste de l'assemblée et déclara:
-"Voilà, la guerre, c'est à peu prêt comme ça. C'est un premier jet, c'est perfectible. Je viens de faire la guerre au jeun's, parce que même si elle n'a pas encore été inventée, il ne pensait déjà qu'à passer ses journées devant la télosh, plus tard vous comprendrez que j'ai bien fait. La guerre ça sert à avoir raison"
Dans l'assemblée, on se disait à voix basse, que la mode pouvait être perfectible.
-"J'ai pas raison ?" demanda Krapatok
Tout le monde acquiesça d'un enthousiasme un peu exagéré.
-"Bien, posfesse clos, bougez vous les fesses, vous avez une guerre à préparer, dans trois jours, on part mettre tout ça en pratique, soyez créatif."

Pour tout le monde, la première évidence était de faire évoluer la mode. La mangrove à l'ouest du village abritait bon nombre de Krokroden. La peau épaisse assurerait une protection plus efficace que la nudité nue. De plus massacrer les Krokroden est assez facile, il suffit d'empoisonner l'eau de graines de Bawaké séchées et broyées. La poudre leurs filera des gaz, ils remonteront à la surface gonflés à bloc en flottant à l'envers et ils finiront par mourir de rire noyés. Le plan fût mit à exécution, les Krokroden aussi. Question défense on était pas mal, mais on y ajouta un petit accessoire mobile qu'on appela bouclier et qui devait parfaire la protection générale au cas où Krapatok tenterai au prochain posfesse de refaire le coup du Pro-gré dans les dents à quelqu'un.
Un défilé de mode fût organisé à l'improviste parce que tout le monde été content d'avoir si rapidement évoluer vers la civilisation. Du haut de son promontoire, le sorcier assistait à tout ça, et quelque part, il était fier comme un Kokotapoul, d'assister ainsi à la naissance de son bébé. Il embrassa son bâton et lui dit: "c'est beau, Pro-gré". L'expression resta.

Bien entendu, il fallait d'autres accessoires plus offensifs, le coup du bâton sur la tête ou dans les dents s'était pas mal pour faire la guerre et imposer la vérité de la civilisation. Le village se mit à couper plein de bâtons. Des bâtons pour écraser des crânes et des bâtons à édenter les bouches, bien entendu, mais dans la foulée on fabriqua quelques bâtons à faire des trous dans la peau, des bâtons à fouetter, des bâtons à brûler les choses et des bâtons à lancer de loin. Question bâtons on était bien aussi.

Pour finir et parfaire les préparatifs, on inventa l'intendance. Quitte à aller fendre la tronche des autres, autant faire ça en rigolant un peu. Maintenant qu'ils avaient pas mal évolués, les Zwawalo's n'avaient pas envie de se séparer de tout le confort tribal. Il fallait emmener de quoi grailler, de quoi picoler, de quoi bawaker, de quoi dormir, bref de façon générale faire en sorte de se sentir à la guerre, comme à la hutte. Ils inventèrent des véhicules à porter les choses sans trop se fatiguer.
    
Quand Krapatok fît résonner trois fois pour la troisième fois, le tronc creux, en le percutant du manche à percuter, il était fier comme ce n'est pas permis.
Il regarda le village qui s'était paré de ses attributs et de ses couleurs de guerre et déclara solennellement: "ça le fait !".
Il lu les oracles à tout le monde en brodant un petit peu pour la forme, puis proposa que le reste de la journée soit consacrée au bawakage et à la sieste érotique. L'idée, bien qu'un peu tribale fît l'unanimité.
Demain serait un autre jour, demain le Pro-gré et la civilisation se mettraient en marche.
Le posfesse fût levé sans qu'une autre victime du pro-gré soit à déplorer.

Demain les Zwawalo's vont partir en guerre.

à suivre.

Commentaires

  1. Zeb, coucou. Et si je mets les corrections ici, t’en penses quoi ? Pas eu le temps aujourd’h.

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