Les modérateurs

Définition de modération: Qualité, personne qui se tient éloigné de tout excès. Discrétion, réserve, retenue, sagesse. Un modérateur c'est un peu comme Yoda le Jedi. La force il a. Parfois, moins moche il est. Et pas nécessairement en inversé, il parle. Le modérateur ou la modératrice a donc une vie plate, chiante, où tout excès est proscrit, au profit d'une sagesse sans vague, faite de réserve quantique et de retenue auto-immune. Sauf qu'ils (ou elles) ne sont pas toujours discret. Un modo (diminutif inventé pour rendre le titre plus humain) a pour fonction au sein du groupe, d'arrondir les angles, d’apaiser le débat, de le recentrer, accessoirement de virer tous les cons. Car les modos ont un pouvoir de désintégration. Si tu écris un truc qui les énervent, rien à foutre de la réserve, sans retenue tu te fais bannir du bouzin sans même savoir pourquoi. Moi j'ai été modérateur une fois. C'est un taf de merde. Il faut dire aussi, que pour une première fois, c'était plutôt hard, je modérais à l'époque la page Facebook d'une petite commune. Pour bien se représenter la chose, quand on a pas vécu l'expérience, voici une petite série de morceaux choisis du quotidien du modérateur.

Le lundi matin, tu te pointes à ton poste, et comme c'est de l'administration institutionnelle, tu peux te permettre de prolonger un peu ton week-end à la machine à café puisque c'est avec l'argent du contribuable que tu glandes. Sauf que là, ton chef de service te demande si tu as vu le bordel ce week-end sur le Facebook communal. Non, le week-end je m'en tape de la commune et de ses administrés, d'ailleurs, j'habite pas dans ce village d'abrutis. Mais à son air et au ton de sa voix, je comprends vite que c'est le carnage. Je retourne donc à mon poste, j'allume le minitel (budget serré) et paf 124 notifications et trois mails urgent non lus du maire. Genre le boss, il croit que je dors au bureau.

Règle numéro un du modérateur, ne rien poster le vendredi soir, avant de te casser en week-end.

Le post en question, traitait d'un problème d'oies un peu envahissantes, qui avaient squattées les rives du canal communal, c'était juste une petite photo où l'on voyait une dizaine d'anatidés au bord de l'eau. Avec la légende suivante: La commune demande à ses habitants de ne plus nourrir les oies, un arrêté va être prochainement publié et un article dans la gazette vous expliquera dans le détail cette nouvelle mesure.

Rien de bien méchant en somme, mais ça c'est sans compter sur la connerie du français moyen prompt à rendre polémique le moindre petit poil de cul qui traîne.

Je résume la situation, à l'origine, une dizaine d'oies sauvages (espèce protégée) squattent les bords du canal, s'y plaisent et finissent par s'y installer. D'autres oies plus communes viennent d'on ne sait où, et ça fraternise, il y a un peu de baise, pour une fois que ça se passe bien avec des migrants, on laisse faire. Qui dit baise, dit œufs, qui dit œufs dit hybrides, qui dit hybrides dit re-baise. Bref d'une dizaine d'oies on passe à de l'élevage intensif en plein air en quelques années. Comme on ne sait plus qui baise avec qui, les hybrides sont naturalisés espèce protégée intouchable, les ennuis commencent. Le chemin communal devient un réservoir à merde, l'eau du canal devient pathogène, les vieux viennent écouler leur stock de pain rassi, les riverains pètent les plombs du concert de klaxons quotidien aux aurores, le cyclo-club porte plainte à la mairie parce que dès qu'il pleut, ils ont de la merde du cul à la tonsure, les écolos portent plaintes parce que les gosses cassent les œufs pour se marrer, alors que merde c'est une espèce protégée. Les parents des gosses pas écolos portent plaintes à la mairie parce que les oies pincent le cul de leurs mioches sur le chemin de l'école. Bref un merdier sans nom. La mairie à grand frais, avait tenté un truc plutôt sympa, l'idée s'était de capturer les oies pour les emmener au parc ornithologique de la baie de Somme. Mais les oies sont joueuses, elle était revenues du parc, avant le camion qui venait de les y déposer.

Le décors est planté.

Sur Facebook ça a donné un peu prêt ça:

- Jolie photo ! Mon mari et moi adorons nous promener le dimanche sur le bord du canal.

- Mdr ! marcher dans la merde C mon kiff LOL.

- Riveraine, je suis excédée du bruit et des nuisances occasionnées par les oies, il est temps d'agir, que fait la mairie.

-Grosse conne, fallé voté pour l'otre candida, il les oré zigouillé, vive marine !

- Il s'agit de l'espèce Anser Brachyrhynchus, une espèce protégée en voie d'extinction, intouchable donc.

- Va chier avec ton latin l'intello de mes deux boules.

- Insupportable ! J'aime les animaux, mais là je n'en peux plus. Les déjections sont omniprésentes sur tout le périmètre, y compris sur l'air de jeux des enfants qui leur sert de nichoir et je ne parle pas des nuisances sonores qui commencent très tôt le matin jusqu'à tard en soirée. Je paye mes impôts et je sollicite une mobilisation rapide afin de résoudre pacifiquement ce problème somme toute bien gênant.

- Pareil !

- Un coup de 12 et le problème est réglé LOL.

- Ta mère connard de chasseur.

- branleur d'écolo, un coup de 12 aussi dans ta gueule.

- on pourrait en faire du foie gras mdr.

- je suis vegan et je trouve honteux qu'on puisse vouloir faire ça à des animaux, on n'est pas tous des barbares mangeur d'animaux morts.

- ça goûte quoi un vegan ?

- laisse tomber, les vegan c'est trop chiant à plumer.

- un coup de 12 pour les vegans aussi lol

- imbéciles

- moi j'en ai marre de laver la crotte sur les baskets de mon fils, avec ce qu'on paye comme impôts ils pourraient nettoyer le chemin.

- oui, après on a les doigts qui puent.

- Vous aitent dé gro kons inkulte vous fête pitié en vré.

- le maire s'en fout, il préfère se la couler douce ce gros PD

- mdr un coup de 12 ?

-...

-...

-...

LE débat type qui part en couille. Mais attention en tant que modérateur institutionnel, le bouton "Virer les cons" est interdit. Car même les cons sont des électeurs. Surtout les cons je dirais...

Et là c'est le vivier communal. les électeurs, c'est comme les oies, pas moyen d'en dézingué un, même en douce. Le maire connais au like prêt son nombre de followers. On braconne pas sur sa page.

D'ailleurs ses mails sont sans équivoque, c'est lui le Jar en chef, il me le siffle en 3 exemplaires au cas où je serai plus con que son électorat moyen.

Genre, je suis un gros malade inconscient et pourquoi pas publier un article satyrique sur le tricot pour les poules dans un groupe de permaculteurs débutants tant que j'y suis ? Bref, sous la menace, je suis invité à modéré fissa tout ça.

D'ailleurs le téléphone à sonné juste après cette triple lecture redondante et crescendo dans la menace, le Jar en chef voulais me voir illico pour me débriefer façon Conan le barbare.

Les oies c'est vraiment politique en fait.

J'ai modéré tout ça en supprimant l'article et en expliquant que le préfet (pas moins) c'était saisi du dossier. Pour éteindre un incendie, autant en allumer un ailleurs, là où ça consume pas l’électorat local.

Bref, modérateur c'est quand même un rôle ingrat, qui consiste à constater avec une lassitude grandissante, que beaucoup d'internautes tapent des âneries en se curant le nez avec les doigts et que certains vont même jusqu'à bouffer leurs crottes de nez. On voit le même phénomène en bagnole.

Que la force soit avec vous amis Jedi's et à défaut, un p'tit coup de douze...

Zeb.